La trilogie de la guitare de Rocio Molina
Pourquoi veux tu filmer ma danse?
En janvier 2023, j’ai retrouvé Rocío Molina à Nîmes, où je préparais le tournage de mon prochain long-métrage autour du chanteur flamenco Tomás de Perrate, et Rocío présentait la troisième partie de sa « Trilogie de la guitare » dans le cadre du Festival Flamenco de Nîmes. Nous avons parlé de la famille, des projets, des voyages. Et je lui ai demandé, comme je fais toujours, dans quel moment créatif elle se trouvait. Nos rencontres sont toujours pour moi autant des moments d’émotion (écouter cette grande artiste parler de son art est passionnant) que de convivialité, puisque nous sommes devenus proches après le tournage d’Impulso, film que je lui ai consacré en 2018. Nous nous retrouvons une ou deux fois par an, en France ou en Espagne, et l’affection reste intacte.
Quand je lui ai demandé pourquoi sa trilogie sur la guitare, qui est un immense succès de public et critique, n’avait pas été filmée de façon professionnelle, elle m’a regardé dans les yeux. « Emilio, tu penses que ça pourrait servir à quelque chose ? » Sa question m’a un peu pris de court. Mille choses ont traversé ma tête : l’ange de Rilke, le temps suspendu quand je la vois danser, les souvenirs des longues après-midis passées à la filmer pendant ses répétitions... « Rocío, tous tes spectacles devraient être enregistrés avec le maximum de qualité possible, pour deux raisons : donner aujourd’hui la possibilité au plus grand nombre de s’alimenter de ton art, et garder une trace durable dans l’histoire du flamenco pour ceux qui viendront après. C’est pour moi une question de responsabilité culturelle. » Je lui ai demandé si elle allait danser prochainement la trilogie complète quelque part. « À Barcelone, je crois que début mars.. ». « Veux-tu que j’essaie de réaliser la captation de la trilogie ? C’est un vrai défi... » Et Rocío : « oui, si tu veux. Je te fais confiance ». Et nous avons continué notre discussion autour de nos familles, nos voyages, nos projets...
Oui, la captation de cette œuvre est une énorme responsabilité. Une responsabilité que j’assume pleinement, parce que mon regard sur Rocío est né d’un héritage partagé et résolument tourné vers le monde, comme le flamenco l’est aujourd’hui.
Une trilogie pour tous.
Il paraît aujourd’hui très clair que la danseuse Rocío Molina marquera l’histoire du flamenco de notre siècle. Plus grande danseuse depuis la mythique Carmen Amaya, Rocío Molina a bouleversé cet art (au même titre que le danseur Israel Galván l’a fait). L’âge d’or du flamenco que nous vivons aujourd’hui lui doit beaucoup. Son travail de rénovation, érigé sur une profonde connaissance des racines du flamenco traditionnel, a été fulgurant, osé, constant, titanesque. En dix ans, elle a bousculé tous les codes de la danse abordant dans ses spectacles toutes les thématiques qui étaient, jusqu’à là, exclues de la tradition, elle a côtoyé avec une facilité déconcertante la danse contemporaine, puis s’est rapproché de la performance artistique avec son dernier spectacle, comme si, finalement, la danse n’avait été qu’un moyen pour parler du beau et du terrible que nous pouvons supporter. Elle nous a toujours interrogé sur nos désirs le plus profonds, sur nos peurs et nos joies, avec une capacité inouïe à transmettre des émotions (véritable médium), reconnue unanimement par le public. Nous voulons la voir danser parce que nous avons besoin de ressentir des émotions et de nous sentir vivants.
La trilogie de la guitare s’érige non seulement comme l’aboutissement d’une étape de son périple artistique, mais également comme l’un de sommets du flamenco de notre siècle, à n’en pas douter. Cette œuvre protéiforme, dansée en solo aux côtés de trois génies de la guitare (dont le plus grand guitariste flamenco vivant, Rafael Riqueni, qui l’accompagne dans le premier spectacle) est une opportunité unique de voir Rocío Molina au sommet de son art, avant qu’elle se dirige vers d’autres horizons créatifs. En fait, on n’en sait rien, tellement Rocío nous a habitués à la surprise, mais c’est elle même qui a déclaré à plusieurs reprises vouloir prendre deux ou trois ans de pause, après la fulgurance de ces dernières saisons.
Je ne compte plus le nombre de personnes à qui j’ai conseillé d’aller voir danser Rocío Molina, et qui sont ensuite revenues vers moi pour me dire : je ne connais rien au flamenco, mais cette femme m’a complètement bouleversé. La captation d’un spectacle de Rocío Molina donne l’opportunité aux spectateurs de vivre une véritable découverte, un moment souvent inoubliable, et représente à chaque fois un élargissement de son public, fidèle, global, qui rassemble des amateurs de flamenco, de danse, ou tout simplement d’art. Filmer un spectacle de Rocío Molina est une responsabilité culturelle, au même titre que filmer les créations de Pina Bausch ou de Carolyn Carson. Ce sont des aventures de vie précieuses, qui donnent du sens à mon travail.
La captation.
La trilogie de la guitare de Rocio Molina a finalement été enregistrée en trois soirs au Teatre Nacional de Catalunya à Barcelone. Produite par Leplato Prod et Rétroviseur Productions, les trois volets ont été diffusés sur la chaîne Mezzo.
Inicio (Uno) TRAILER
Danse: Rocío Molina.
Guitare: Rafael Riqueni.
Al fondo Riela (Lo Otro del Uno) TRAILER
Danse: Rocío Molina.
Guitare: Eduardo Trasierra y Yérai Cortés.
Vuelta a Uno. TRAILER
Danse: Rocío Molina.
Guitare: Yérai Cortés.
« ... car le beau n’est rien que ce commencement du terrible que nous supportons encore »
(Rainer Maria Rilke)
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